Cela fait longtemps que je n'ai pas posté de nouvelle toile. Des modèles ont posé qui attendent des nouvelles de leur tableau. Mais voilà, j'ai des problèmes. Sur mon dernier tableau, j'ai entrepris de peindre un femme qui retire son pull. On voit son buste, les bras relevés avec le pull au-dessus de sa tête. Voilà le problème, le pull. Je suis obligé, enfin, je me suis obligé à peindre toutes les mailles du pull. J'y ai passé presque un mois quand j'ai dû me résoudre à recommencer. Mon tracé n'était pas assez précis et j'étais perdu dans mon tableau. J'ai donc entrepris de refaire ce tracé après avoir effacé tout mon travail, avec soulagement. Entre-temps, internet reprenait de plus en plus souvent mon travail se focalisant sur ma série sur les bouches.
Et puis une nouvelle commande de ma galerie de New York est tombée, une bouche justement, m'obligeant à reporter l'exécution de mon tableau actuel. Et puis d'autres galeries s'intéressent à mon travail, enfin surtout à mes bouches. Mais je n'en fais pas tant que ça et surtout je préfère et de loin peindre des portraits et des nus. Seulement voilà, ils ne se vendent pas ou si peu et c'est là l'autre problème. Alors ok, je vais peut-être exposer en Californie, au Canada, en Corse et en Grèce. Mais les galeristes sont attentifs au côté commercial et c'est bien normal et m'incitent à peindre encore et toujours des bouches. Déjà du temps où j'exposais chez Frédéric Bosser, je sentais bien qu'il me faudrait lutter pour imposer l'ensemble de mes thèmes. Et mon désir de faire des tableaux encore plus érotiques ne trouvera, je le crains, aucun débouché dans le monde de l'art, enfin je veux dire sur le marché de l'art. Alors que faire? Il faut bien vivre! Bien sûr, mes préoccupations ne semblent pas vitales mais pour moi, moralement, c'est la confrontation entre l'intégrité et la compromission, entre la sincérité et le mensonge, entre l'amour et la prostitution.
Comme j'aimerais être libéré de ces choix. Mais je le suis en fait. Il faut juste que j'attende que mon discours atteigne le cœur de quelqu'un. C'est une question de temps. Je dois durer, le temps que quelqu'un m'aime. Enfin aime mon travail, tout mon travail. Quelqu'un de riche et surtout d'audacieux. Quelqu'un qui saura acheter pour autre chose que pour décorer son salon ou sa chambre à coucher. Qui se fichera de l'avis des ses amis et qui assumera ses goûts face au monde. Qui achètera sans penser à revendre et faire une plus-value.Quelqu'un qui ne pensera pas seulement faire une bonne affaire en négociant une réduction mais qui sera heureux et fier d'aider et de soutenir un artiste vivant. Où sont les mécènes qui pourront s'enorgueillir d'avoir aidé un artiste de son temps? Ils se réveilleront tous quand on sera mort dans la misère. Ils feront de l'argent sur nos cadavres et en seront fier. Nos héritiers s'entredéchireront pour vendre notre nom à une marque de voiture ou de soupe.
Et que fait l'état pour ses artistes? Et quels artistes trouvent grâce à leurs yeux? Quand je vois les acquisitions régulières du MACVAL j'en suis consterné. Je préfère n'importe quelle expo de la fondation Cartier. Où est le savoir-faire? Où est le métier? Où est la beauté?
Ce dont j'ai envie là, c'est de peindre des filles nues, de grosses fesses et des sourires, du sexe et de la joie. De la beauté et de l'amour avant de crever. Fuck.