lundi 23 décembre 2013

Marc Delorme


Marc Delorme,

De 15 ans mon ainé, Marc était la seule personne que j'ai continué de fréquenter depuis que j'ai quitté le monde de la pub et du packaging. Il était roughman, graphiste et illustrateur. C'était un gentil comme on dit, extrêmement talentueux et bon. Il avait un sens élevé de la morale et du bien. Beaucoup de gens ont profité de sa gentillesse: ses patrons, mais aussi ses "amis". Toujours prêt à rendre service, il ne savait pas dire non.

Passionné d'aviation et de machine à vapeur, il a passé la fin de sa vie à essayer de terminer quelques tableaux à l'huile, les retouchants sans cesse comme s'il craignait de devoir en commencer d'autres. Il n'osait pas demander trop cher pour ses tableaux vu le temps passé, ils auraient été, à son avis, hors de prix. 

Il vivait encore chez ses parents, prenant soin d'eux dans leur vieillesse, faisant office d'assistante de vie avec tout l'amour dont il était capable; les accompagnant jusqu'à la mort, son père d'abord, puis sa mère qui est partie à près de 100 ans. Marc savait se salir les mains pour faire le boulot.

Profondément croyant, il ne forçait pas sa bonté mais enrageait de constater que les méchants gagnaient souvent sans aucun tribut à payer, dans cette vie. Il était persuadé de l'existence de forces obscures et faisait de son mieux pour les combattre ou les éviter.

Chaque année, il répondait à mes vœux par une carte dessinée à la main, le plus souvent un avion. Son préféré était le Constellation, un avion de ligne des années 50. Il en avait d'ailleurs restauré une maquette en alu. Du coup il était devenu spécialiste en restauration de ce genre d'objets. Il adorait également les machines à vapeur. Il en a peint quelques-unes mais surtout en collectionnait les modèles réduits. Il était aussi spécialiste de jouets en tôle. Il adorait la moto. Il a d'ailleurs survécu à un grave accident il y a quelques années. Marc était resté en quelque sorte un enfant, ne voulant pas entrer dans ce monde d'adultes où les gens sont égoïstes et malveillants.

Il est mort d'une leucémie foudroyante. C'est le deuxième roughman de ma connaissance qui succombe de ce mal. Les feutres contenaient du benzène à l'époque où mes amis exerçaient leurs talents. Sans le savoir, ils ont sacrifié leur santé pour des patrons ingrats qui étaient ravis d'utiliser leurs talents pour vendre de la soupe. J'ai vite compris que ce destin me pendait au nez et quand j'ai pu m'extraire de ce monde cynique, je l'ai fait sans regrets.

Je crois qu'il m'aimait bien. J'essayais de lui rendre visite quelque fois à Ormesson et on parlait du passé, de la peinture, parfois de religion. Marc était un bavard invétéré, y compris au téléphone lors de son hospitalisation. Il ne voulait pas qu'on lui rende visite de peur de se fatiguer mais surtout de nous imposer une image dégradée de lui-même. Mais tu ne t'ennuies pas tout seul à ne rien faire? Non, je rêvasse. Je repasse ma vie en souvenir et j'essaye de trouver ce que j'aurais pu dire ou faire pour ne pas me faire exploiter par tout ceux qui ont profité de moi. J'aurais dû passer plus de temps à peindre au lieu d'essayer d'honorer des commandes si mal payées et si mal considérées. Les gens ne se rendent pas compte de la valeur du travail, du talent et de la volonté qu'il faut pour être un artiste. Je ne peux pas leur faire payer le prix réel, ils ne comprendraient pas. Marc était assez déçu mais jamais amer. Il leur pardonnait.

Je dois dire que je rougissais souvent à ses compliments. Il me confortait dans mes choix et témoignait de son admiration pour mon art. Il ne m'enviait pas, il était heureux pour moi, pour mon travail, pour ma famille. J'avoue que j'étais parfois gêné de lui parler de mon travail, de mes expos et de mes projets. Pourquoi moi et pas lui? Il valait au moins autant que moi sinon plus. Dans ces cas là, j'avais l'impression d'être un imposteur et de ne pas mériter ce qui m'arrivait. Mais d'un autre côté, je vivais aussi pour lui et lui à travers moi et là je me sentais une responsabilité et j'éprouvais le devoir d'être à la hauteur de "notre" rêve.

Mourir d'une leucémie est horrible. Personne ne mérite ça. La mort qui vient est une délivrance et je sais que Marc repose en paix désormais. Il veille sur nous du ciel, aux commandes de son Gee Bee Racer-1. Bon vol Marc.



11 commentaires:

MiB a dit…

Terrible... bel hommage Hubert !

Hubert de Lartigue a dit…

Merci Michel.

cali rezo a dit…

Je suis triste que tu sois triste et je comprends que tu aimais cette personne, surtout s'il faisait partie de la super bande -trop sous-estimée- des vrais gentils... des bises, Hub.

LUDOVIC BOTTOSSO a dit…

Un hommage très touchant.

Hubert de Lartigue a dit…

Merci Cali, merci Ludovic. Marc ne laisse que sa sœur Elisabeth. L'enterrement est vendredi. Tu parles de bonnes fêtes de fin d'année pour elle...

Manchu a dit…

Un beau texte Hubert, c'était certainement une superbe personnalité....

Hubert de Lartigue a dit…

Merci Manchu. Il rougirait en te lisant. C'était un mec discret qui ne voulait pas déranger.

martinefa* a dit…

Très beau texte, on a la sensation de le connaître un petit peu et c'est un honneur.

Hubert de Lartigue a dit…

Merci Martine, c'est drôle, c'est tous les gentils que je connais qui se retrouvent ici! Je vous aime les amis.

Mel a dit…

C'est très émouvant ce que tu as marqué là, et l'image de fin est très belle.

ton texte donne envie de le connaître, ce monsieur, c'est dommage qu'il ne soit plus des nôtres.

Hubert de Lartigue a dit…

On en a plein autour de nous des gens comme ça. Il suffit de faire attention... :)