Lorsque je fais poser un modèle...

Lorsque je fais poser un modèle, j'ai souvent une toile en cours. En ce moment, j'ai même des séances de poses en avance. Quand on fait si peu de tableaux, ce sont des choses qui arrivent. Et à chaque fois je dois prévenir mon cher modèle qu'elle devra attendre quelques mois avant que je m'occupe de son cas si je puis dire. Mais j'aime bien attendre et les faire attendre. Le temps pour moi d'oublier combien la séance de pose fut fructueuse et pour le modèle d'avoir la surprise de se voir en peinture alors que cette éventualité lui était sortie de l'esprit. Je pense qu'elles aiment se voir en peinture et moi j'aime voir leur visage s'éclairer en découvrant leur peinture. Les voir se regarder dans mon miroir, c'est mon plus beau salaire, ce sont mes applaudissements. Je me sens vraiment comme une rock star et je suis heureux à ce moment-là.

J'adore faire poser, mais ce travail doit se justifier par l'exécution d'un tableau, au moins. C'est le deal. C'est grâce à cet accord que des modèles qui n'ont peut-être jamais posé auparavant, trouvent l'audace de franchir le pas avec moi. J'ai bien conscience d'être privilégié et j'ai également conscience de mon devoir envers leur image. Elles me font confiance et j'accepte cette responsabilité avec d'autant plus de joie que je sais que peu d'autres artistes ont ce privilège.

Faire poser, c'est une expérience de vie aussi intense que de poser soi-même je crois. On fabrique quelque chose de magique. On donne de la beauté au monde. C'est une danse immobile, un cri silencieux. J'en sors souvent épuisé. Le modèle aussi je pense. Notre énergie est désormais dans nos images. C'est cette énergie, cette magie que je m'efforce de communiquer grâce à la technique, car la technique ce n'est pas froid, c'est de l'amour. Parfois j'ai l'impression que je suis le seul à le ressentir, mais quand je m'aperçois que certain reçoivent le message intégralement, je sais que je que je fais n'est pas vain.